L’avis de Gérard Poussin sur la résidence alternée chez le tout petit
Après avoir été psychologue dans le service public (Hôpital, Centres médico-psychologiques) ou semi-public (Centre Médico Psycho-Pédagogique), Gérard Poussin consulte maintenant dans le cadre d’une pratique privée. Il enseigne la psychologie à l’université depuis de nombreuses années et s’est longtemps spécialisé dans la psychologie infanto-juvénile et dans les questions de la parentalité.
Comment un bébé peut-il vivre avec ses parents, à tour de rôle, sans oublier le parent absent ?
Alors que « de nombreux experts s’interrogent sur les effets de la résidence alternée avec un bébé », Gérard Poussin pose le débat dans les termes suivants : » le rythme du bébé en alternance, un vrai casse-tête. »
Un sujet complexe, la résidence alternée des tout-petits
Dans le cadre des derniers développements de la théorie de l’attachement, les chercheurs s’accordent pour conclure que le bébé peut développer plusieurs figures d’attachement principales : son père et sa mère. La primauté donnée à la mère est plus souvent dictée par l’habitude sociale que par une absolue nécessité psychique, tout dépend de la façon dont la relation s’est construite entre l’enfant et ses parents.
Cependant, pour construire la relation d’attachement, encore faut-il que le bébé puisse bénéficier d’un temps suffisant. Car » l’attachement nécessite une certaine régularité des contacts. C’est ce qui rassure l’enfant ; il a besoin de cette continuité pour se construire. » La rupture trop fréquente de la continuité serait susceptible de perturber le processus d’attachement. » C’est la répétition dans la rupture des rythmes et l’addition des séparations qui questionne les experts « , explique Gérard Poussin.
Ainsi, » le bébé en résidence alternée devra faire preuve de grande souplesse : selon qu’il vit chez son père ou chez sa mère, il lui faudra transférer sur l’un ou l’autre ses repères habituels. Un changement perpétuel bien compliqué, pour un tout-petit dont la continuité dans les repères, les émotions, les habitudes, etc., est pourtant essentielle à sa construction. Pour qu’une relation d’attachement non pathologique s’installe, ce serait donc moins l’identité du parent qui joue, mais bien le temps d’échange dont disposent parents et enfant pour établir leurs rapports.
Quel impact aura l’addition de ces microtraumatismes (les séparations à répétition) sur son développement psychique ? Comment le tout-petit arrive-t-il à récupérer un sentiment de continuité dans la relation et se remet-il de ces pertes d’attachement ?
Tout en se faisant l’écho de ces débats, Gérard Poussin estime qu’ il est encore trop tôt pour avoir des avis tranchés sur la question. Seules des études réalisées sur un grand nombre d’enfants pourraient nous éclairer.
Mais d’un point de vue thérapeutique, il se range toutefois à l’avis de nombreux pédopsychiatres qui, comme il l’affirme, préfèrent faire jouer le principe de précaution et protéger les bébés d’allers-retours néfastes pour leur développement.
Il prévient qu’ avec un tout-petit en résidence alternée, il n’est pas raisonnable d’envisager une résidence paritaire. Les parents doivent préférer un système où le bébé vit plutôt chez l’un des parents, avec des séparations plutôt courtes. » Et de conclure que » pour les tout-petits, il semble réaliste de ne pas envisager d’emblée une résidence alternée paritaire. Mieux vaut laisser le bébé vivre dans un seul et même lieu, et introduire l’alternance à petites doses. » Même si la mise en oeuvre d’une résidence alternée évolutive et progressive est souvent plus facile à dire qu’à faire, les parents qui l’adoptent s’octroient une garantie supplémentaire de succès. » C’est avec ces précautions que l’enfant peut se construire, sans se soumettre à des adaptations nombreuses et épuisantes. Et sans être tiraillé entre ses deux parents « , explique Gérard Poussin.
Quant à savoir avec quel parent établir la relation d’attachement la plus stable, c’est là aussi une question de dosage, de compromis, en fonction des histoires singulières de chaque famille. Gérard Poussin présente les enjeux du débat entre les experts. » D’un côté, ils reconnaissent qu’en cas de séparation intervenue très vite après la naissance, mieux vaut ne pas attendre des années avant de tricoter la relation père-enfant. » Toutefois une contrepartie existe : » en même temps, favoriser la relation précoce entre le père et l’enfant revient à retirer le bébé à la mère (et inversement), ce qui n’est pas sans conséquence. » Ainsi, » le bienfait que l’enfant tire de la proximité avec son père compensera-t-il les effets néfastes de ces multiples séparations ? »
Les avantages de la résidence alternée
L’enfant a besoin de ses deux parents pour s’épanouir et pour construire son identité sexuée. » La double lignée est une nécessité, explique Gérard Poussin, préserver des liens avec les deux branches de l’arbre généalogique de l’enfant est essentiel à sa construction. Or avec la résidence alternée, il n’y a pas un parent principal et un autre secondaire.
Les deux parents ne sont pas interchangeables, pour l’enfant : il a besoin de deux parents impliqués mais différenciés l’un de l’autre pour progresser. Mais pour autant l’alternance rappelle que l’enfant qu’on fabrique à deux doit aussi être élevé à deux. » Choisir la résidence alternée revient à prôner la coéducation. »
L’alternance permet aux adultes de réinvestir plus rapidement leur vie personnelle. » Grâce à l’alternance, on est parent à temps partiel, mais adulte à temps plein. » Elle » redonne à sa vie d’adulte la place qu’elle mérite » et permet ainsi d’ éviter de faire penser à l’enfant qu’il est l’unique raison de vivre du parent resté seul. « Comme chacun retrouve du temps pour soi et du temps à partager, on tient à distance les risques de fusion parent-enfant, une des conséquences fâcheuses de l’après-divorce. »
La résidence alternée ne s’improvise pas : les choses à prévoir
» La résidence alternée entraîne souvent une relative transparence dans sa vie amoureuse ou celle de son ex-conjoint. Il faut y être prêt « , explique Gérard Poussin
Pour le bien-être de l’enfant, il faut » maintenir le couple parental, même si le couple conjugal n’existe plus « . Ce qui oblige à conserver un niveau minimum de communication entre parents. Gérard Poussin avance qu’ » on peut se contenter d’un degré d’entente minimum pour discuter de l’éducation de l’enfant. »
De même, la préservation de l’intérêt de l’enfant passe-t-elle par certains compromis que les parents doivent être capables de tenir au cours long cours.
Ainsi de la » proximité géographique » entre les habitations de l’un et de l’autre. » Habiter dans la même rue ? Peut-être pas. Mais c’est quand même pratique si les parents résident dans deux quartiers limitrophes. Les plus petits et les adolescents conservent leurs repères, et les adultes ne perdent pas de temps en transport. »
Ou de la » relative disponibilité professionnelle » qu’implique la succession du rythme de la résidence. » C’est le moment de repenser son organisation professionnelle et d’instaurer des semaines minces et des semaines plus joufflues. »
Quant au » maintien de l’enfant dans son cadre habituel, c’est souvent une condition sine qua non pour que les adolescents adhèrent au système. »
Avant de se lancer, il faut analyser ses motivations profondes : la résidence alternée est-elle un projet commun ? Une solution pour revoir souvent son ex-époux ? Une volonté de contrarier l’autre ? La seule issue possible dans un contexte de crise ? A travers cette série d’interrogations, Gérard Poussin tente de percer à jour les conflits complexes qui peuvent parfois naître entre l’intérêt de l’enfant dont il est partout question dans les textes et les fausses bonnes raisons que peuvent parfois avoir les parents pour demander la résidence alternée. Car il peut exister d’autres motivations, d’autres arguments, moins avouables. Le mode de garde peut ainsi faire l’objet d’une instrumentalisation par l’un des deux parents.
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